Ce qui faisait la force de son restaurant et qui avait fidélisé sa clientèle, c’était qu’il mettait un point d’honneur à se fournir en ville ou dans ses alentours pour les produits qu’il utilisait. Il n’était pas question de s’en référer aux grandes enseignes qui n’avaient pas besoin de son argent. Faire vivre le commerce local était plus important pour lui, ça lui permettait aussi d’allonger la liste des alliés du club. Si ces gens lambda arrivaient à les voir comme des citoyens à part entière, c’étaient des témoins de plus acquis à leur cause en cas de problème, des gens qui n’hésiteraient pas à les couvrir en cas de besoin ou même à les cacher si la situation l’exigeait. Tout ce que faisait Korben, il le faisait toujours indirectement pour les Sons, sa famille. Une grande partie de ses bénéfices étaient reversés à la caisse commune des motards, pour aider les familles des disparus et celles de ceux qui étaient enfermés. Il n’était pas question qu’aucun d’entre eux ne soient lésés pour une raison ou pour une autre. Il avait été contraint de faire un choix, entre son métier et le club, finissant par abandonner sa cuisine pour servir au mieux les intérêts du président. Il avait dû engager quelqu’un pour l’épauler et le remplacer quand il se retrouvait à l’autre bout de l’Etat pour une raison ou pour une autre. Il continuait à gérer ses deux établissements d’une main de maître, veillant à ce que tout roule. Il avait l’impression de passer ses journées à courir partout, ne prenant jamais le temps de se poser pour autre chose que pour boire un verre et avaler quelque chose à la hâte. Il avait fait ce choix, ça lui laissait beaucoup moins de temps pour penser et pour se confronter à cette grande maison vide qu’il habitait depuis le départ de ses sœurs. Elles n’avaient jamais émis le désir de revenir près de lui et il le comprenait bien, il n’y avait pas grand avenir pour des femmes cultivées dans un trou comme celui-là. Il avait fait en sorte de se créer des opportunités à son échelle, se disant parfois qu’avec ses compétences, il aurait sans doute pu faire des ravages ailleurs, mais à quoi bon ? Peut-être qu’une part de lui espérait qu’en restant là, les choses finiraient par rentrer dans l’ordre, les déceptions s’estomperaient et qu’il finirait par récupérer ce qui lui avait été arraché. Ca pouvait paraître stupide mais il en était là. Et ici, c’était chez lui, les bons et les mauvais souvenirs, il en avait pour chaque endroit de cette ville, c’était ce qui la rendait si attachante. Et puis, où aurait-il bien pu aller ?

Les bras chargés de sacs pour le restaurant, il se maudit de ne pas avoir sorti ses clés plus tôt, réalisant que ce serait encore toute une histoire pour charger son coffre sans faire tomber quoi que ce soit. Il en vint à bout tant bien que mal et venait de refermer son coffre quand il aperçut Vera du coin de l’œil. Les Sons n’étaient pas une grande famille en théorie mais également en pratique, tout le monde se connaissait et tout le monde savait plus ou moins ce qui se passait chez chacun, la porte de chaque membre était ouverte pour les autres, en cas de dispute conjugale, d’embrouille ou bien pour partager un repas. Vera avait perdu son compagnon quelques semaines plus tôt et comme à chaque décès, le club avait resserré ses liens autour d’elle et de tous ses membres, pour qu’elle se sente soutenue et qu’elle n’ait pas l’impression d’être seule. Malheureusement, elle ne l’entendait pas de cette oreille. Le choc avait été rude, Korben voulait bien l’entendre, mais ça ne justifiait pas la manière dont elle se comportait avec les femmes du club qui venaient voir si elle ne manquait de rien. Elle ne voyait plus rien au-delà de ses sacs de courses et il se précipita pour lui prendre une bonne partie de ses sacs et les porter jusqu’à sa voiture, mais elle se débattit, renversant leur contenu. « Hé, du calme, ce n’est que moi ! Je voulais te filer un coup de main, j’ai mieux à faire que de voler des oranges. » tenta-t-il avec un sourire, se penchant pour l’aider à nettoyer les dégâts, comme le gars bien élevé qu’il essayait d’être depuis tout gosse. « Je suis inquiet pour toi, je sais que ça t’emmerde toute cette sollicitude, mais c’est sincère. On essaie de t’aider au mieux. T’as peut-être pas envie de voir tout ce monde chez toi, suffit de me le dire et je ferai passer le message. Mais moi, faut pas hésiter à m’appeler, je veux dire, on se connait depuis longtemps, non ? Ou un autre que tu connais mieux. Mais dans ces moments-là ; il ne faut pas s’isoler. T’as besoin du club. » Comme beaucoup de celles qui avaient perdu leur compagnon, elle devait faire porter la responsabilité de cette situation au mode de vie marginal des Sons of Anarchy mais tout ça n’était que de la malchance, rien de plus, un concours de circonstances merdiques. Comme cela arrivait souvent et à n’importe qui. « Tu devrais passer au restaurant, un de ces quatre, manger un petit bout et essayer de te changer les idées, ça me ferait plaisir. »