Un cri de panique surgit, la fillette ouvre soudainement les yeux et redresse la tête. La scène se passe à une vitesse lumière, il n’y a que les phares aveuglants, avant que la voiture ne soit percutée violemment. La petite ne réalise pas entièrement ce qui se passe, elle sent seulement une vive douleur qui s’acharne sur sa tête puis sur son corps, alors que la voiture part dans tous les sens. Elle entend la voix de sa mère, des cris qui s’échappent d’entre ses lèvres, avant qu’elle ne se taise entièrement. Soudainement, plus rien, plus un son, la voiture s’arrête entièrement. Les larmes aux yeux, les membres qui tremblent, elle reste immobile, Kansas. Il y a ce voile devant ses yeux, la noirceur qui l’empêche de voir quoi que ce soit. « papa ! » Elle attend une réponse, un signe de vie, mais rien. « maman ! » Rien, toujours rien, que le silence lourd, que sa petite voix qui résonne dans la voiture, alors que les minutes s’écoulent, que sa tête semble vouloir exploser. Les larmes roulent sur ses joues, elle est prise au piège, entre la ceinture de sécurité qui est bloquée, la portière qui est enfoncée et ce mal de crâne horrible. Elle essaie de capter l’attention de son père, de sa mère, mais personne n’a la capacité de lui répondre. Dans la noirceur, elle commence à croire qu’ils sont partis, qu’ils l’ont laissée seule et les larmes se mettent à couleur de plus belle.

De la lumière vive, une lumière qui fait monter la douleur dans son crâne. Elle ferme les yeux très fort, Kansas. « il y a une fillette, elle est en vie ! » Une voix, celle d’un homme, lointaine résonne à ses oreilles, elle entrouvre les yeux. « hey, petite, n’aie pas peur, on va te sortir de là. » Elle voit l’homme à demi, une imagine floue, irréelle. Les larmes ne s’arrêtent pas, elle a horriblement mal, terriblement peur, mais elle n’est plus seule. Des silhouettes s’agitent autour de la voiture, elles s’activent pour les sortir de là et pendant ce temps, elle plonge dans les ténèbres, Kansas, elles ont raison d’elle. Contrairement à sa mère, elle en émergera après plusieurs semaines passées dans un coma profond. La petite grandira au sein d'un père anéanti par la mort de sa femme et d'un club de motards bien connu en ville, vie qui aurait été bien différente, si sa mère était encore de ce monde.


Ses mains se referment avec fermeté autour de ses poignets, elle grimace. Elle en a complètement marre de ce petit jeu débile, elle n’en peut plus. Elle a envie de l’envoyer balader, lui rappeler à quel point il peut être un véritable taré. Pourtant, elle l’aime plus que quiconque, elle s’est accrochée à lui et elle n’arrive plus à s’en défaire. Dès le moment où ses yeux se sont posés sur son visage, elle a su qu’il lui apporterait son lot de malheurs, mais elle l’a laissé faire irruption dans sa vie. Elle s’est attachée à lui, très vite il est devenue le centre de son attention. Dès lors, plus rien ne comptait, mis à part lui, ses yeux, ses mains, ses lèvres. Il l’aime, il la protège, il la couvre de joie puis ensuite, il lève la main sur elle, il lui balance ces mots à la figure puis il la rejette. Il ne va pas bien, elle le sait, mais ça ne l’autorise pas à se montrer si dur, si froid, si cruel. Il la fait vivre, il la tue à l’intérieur et il l’a fait revivre. C’est malsain. Elle désire mettre fin à tout ça, mais elle n’y arrive pas. Il est ancré en elle, il s’accroche à sa peau et elle n’arrive plus à s’en défaire. Elle pourrait y arriver, Kansas, mais ça serait le début de la fin, le début de sa propre mort. Elle devrait arracher son propre cœur, le plonger dans l’acide, c’est lui qui le fait battre, lui qui lui permet de rester en vie. Elle a besoin de lui, de ses caresses trop brusques, de ses baisers animal, de sa voix trop forte, trop grave, trop brutale. Elle le laisse la contrôler, elle le laisse jouer les cons et revenir dans sa vie, comme si tout allait bien, comme si tout était normal.

Elle grimace de douleur, lui sait que c’est sa faute. Pourtant, il ne relâche pas la pression. « tu sais que je t’aime, Kansas. sans toi, je serais un tas de cendres, de la foutue poussière. tu es tout ce que j’ai, tout ce que j’ai besoin. j’ai merdé, une fois de plus, mais ça ne change strictement rien à mes sentiments, ni au tiens. » Kansas, elle sait qu’il l’aime, elle n’a aucun doute à ce sujet, ni au fait qu’elle aussi l’aime, mais elle n’en peut plus de ses conneries, de ses écarts de conduite. Il lui plante sans cesse un poignard dans le dos, fait jaillir le sang et elle, elle revient sans cesse vers lui, le laissant retirer l’arme et la guérir, avant de la faire souffrir à nouveau. Elle a envie de lui dire que c’est assez, que c’est fini, mais comme à chaque dispute, elle se remémore à quel point elle est seule sans lui, à quel point elle a besoin de lui. « t’as raison, bébé. on se calme, on arrête de s’énerver, d’accord ? je t’aime et je veux pas que ça s’arrête. » Il s’apaise, délaisse ses poignets et saisit maintenant son visage entre ses mains, venant plaquer ses lèvres contre les siennes. Elle plonge dans le gouffre, elle se laisse prendre au jeu. Elle laisse ses mains se refermer contre elle, la douleur lui lacérer la peau, lui broyer le cœur, tandis qu’elle redevient sa marionnette, mais une marionnette vivante, animée.  


L’homme passe les menottes autour de ses poignets, alors que Kansas, elle regarde la scène, impuissante. Les larmes coulent sur ses joues, elles ne veulent pas s’arrêter. À nouveau, son monde s’écroule, elle ne devrait pourtant pas être étonnée. Elle le déteste autant qu’elle l’aime et elle se répète sans cesse comment elle va faire pour vivre sans lui, s’il se retrouve derrière les barreaux. Il est dans sa vie depuis trop longtemps, il fait partie intégrale d’elle et voilà que cette connerie, cette folie va le placer directement en taule. Elle a toujours su que ça allait finir par arriver, mais Kansas, elle ne s’était pas imaginée quelque chose d’aussi gros, quelque chose d’aussi tordu. « Kansas, dis-leur que j’ai rien fait, dis-leur que c’est des conneries. » Elle aimerait, pourtant elle ne peut pas, parce que ça signifierait de raconter des conneries à la police, ça signifierait d’être accusée de complicité… Elle ne peut tout simplement pas. Il doit s’arrêter et si c’est le seul moyen, elle s’y résout, mais si ça lui broie le coeur. « je peux pas, Aleksey. » Elle reste immobile, elle ne bouge pas d’un seul millimètre, lorsqu’ils le sortent de force par la porte d’entrée puis qu’il l’installe à l’arrière de la voiture. À nouveau, on la secoue, on la brise et Kansas, elle flanche. Elle lui a toujours dit que sa colère allait le mener droit en prison, son impulsivité, ses obsessions. C’est ce qui est arrivé, tel qu’elle l’avait prédit. Il n’a jamais su se tenir, il n’a jamais su l’écouter. C’est pourquoi il va devoir faire face à ce tribunal, c’est pourquoi il va se retrouver derrière ces fichus barreaux, y enfermant le cœur de Kansas avec lui. Ses poings se sont percutés à son visage et à sa tête de trop nombreuses fois, l’homme est tombé dans un coma trop profond. Il s’est endormi et les spécialistes doutent fortement qu’il puisse s’en sortir. Il l’a sans doute tué, il lui a sans doute prit sa vie, à cause de cette foutue jalousie, cette foutue possession, cette foutue obsession. Ces pensées la tue, l’anéantisse, mais elle n’y peut absolument rien, Kansas. Il ne lui reste qu’à vivre avec cet homme qu’elle aime derrière les barreaux et cette vision du monde qui ne change pas. Chercher le positif, tenter d’avancer, de respirer. Quelques mois plus tard, il va la larguer, lui redonner sa liberté, contre toute attente et elle, elle va fondre en larmes, alors que cette liberté, elle la longtemps cherchée. Pas des larmes de joie, mais des larmes de tristesse, de douleur. Bordel ! Pourquoi a-t’il dû jouer les cons à nouveau ? Il lui redonne cette liberté, mais elle reste esclave de ses propres sentiments, même après quelques années.


Le monde vacille à nouveau vers le côté sombre, elle a l'impression que son coeur va exploser, Kansas. Exploser de douleur, de souffrance, de tristesse. Ses bras solides la serrent avec force, alors que les larmes coulent avec abondance sur ses joues. « je suis tellement désolé... » Elle le sait, elle n'a aucun doute à ce sujet. Il aurait tout fait pour son père et il en aurait fait autant, parce qu'ils étaient comme des frères. Seulement, il n'a rien pu faire et ça le tue autant que ça la tue, elle. Une fois de plus, on lui arrache une partie de sa vie, une partie d'elle-même, son père, l'homme qui l'a élevée. La douleur est incommensurable, elle a envie de s'arracher le coeur, l'esprit, pour ne plus avoir mal, pour ne plus jamais avoir ces pensées sombres. Si lui n'était pas là en ce moment, elle craquerait, elle sombrerait, elle le sait Kansas. Elle a envie de foutre le bordel partout, de lancer des trucs, mais il la calme, lui remet les pieds sur terre, par sa seule présence, par ses bras puissants, ses bras apaisants. Elle a mal Kansas, même s'il l'apaise et elle sait parfaitement que le seul remède sera le temps. La douleur finira par se calmer, s'amoindrir, mais jamais elle ne la quittera, parce qu'on lui a arraché une partie d'elle-même.