Nous sommes au vingt et unième siècles et le moyen le plus efficace pour les célibataires d'aujourd'hui de faire des rencontres, ce sont les sites Internet. Ils se sont déployés, multipliés, reproduits sur la toile à n'en plus finir, chacun correspondant forcément à l'une de nos attentes. Il y a ceux qui veulent juste parler, ceux qui veulent vous baiser, ceux qui s'emballent trop vite et foncent dans une relation sans queue ni tête. Et parmi tout ces gens, il y a parfois votre âme sœur. C'était une statistique à laquelle Félix n'avait jamais cru jusqu'à ce qu'il tombe sur cette putain de photo de profil. Ténébreux, sombre, sexy. Visuellement, la vue de ce cliché avait déclenché dans son organisme une érection terrible dont il se souvient encore mais au-delà de l'attraction sexuelle, il avait éprouvé quelque chose. Son cœur s'était serré dans sa poitrine, pour la première fois depuis des années. Félix avait toujours su qu'il était attiré par les hommes, ce n'était un secret pour personne. Il n'était néanmoins pas de ceux qui clamait leur sexualité sur tout les toits et s'affichait ouvertement. Félix estimait que sa sexualité ne regardait que lui, après tout, et son entourage proche. Au travail, dans cette grande banque où il était conseiller financier, il était toujours discret sur ses relations. On le savait célibataire, sans enfant, jamais marié mais très peu le savaient homosexuel. Il n'en faisait pas un secret mais pas non plus ce qui le définissait. Il n'avait pas envie qu'on le catalogue comme homosexuel car le jour où il s'afficherait avec un homme, il serait avant tout cela juste quelqu'un d'amoureux. Félix dirigea sa souris vers l'onglet qui proposait d'entamer une discussion avec cet inconnu. Il écrivit un message bateau qu'il effaça une première fois, réécrivit, supprima encore jusqu'à se décider sur une formulation qui lui paraissait correct et pas trop avenante. Chose faîte, il appuya sur Entrée.

« De la romance tard le soir, des sms, des emails »

C'était devenu une routine. Pas un matin, pas une pause clope, pas une pause déjeuner, pas un instant de libre ne se passait sans qu'ils n'échangent un message ou ne parlent pendant des heures. Félix avait cette drôle d'impression de tout savoir d'Elias et inversement, qu'il savait tout de lui. Il était devenu dépendant à ses messages et consultait sans cesse son téléphone. C'était limpide entre eux et ce serait mentir que de dire qu'il ne commençait pas à éprouver des sentiments à l'égard du brun. En fait, il ne pouvait pas le nier à l'instar du sourire ravissant qui illuminait son visage chaque fois qu'il voyait le prénom Elias s'afficher sur son téléphone.

De : Elias.
A 20h03.
Cet amphi était profondément emmerdant si tu savais, Félix. Plus de batteries = pas de doodle jump, pas de facebook, pas de twitter, pas de toi.

De : Elias
A 20h04.
I hate this fucking distance between us:(

Chaque fois, le cœur de Félix s'emballait. Lui aussi détestait cette distance entre eux. Ils vivaient à l'autre bout d'un même pays. Pourquoi la personne qui semblait le comprendre le mieux vivait-elle si loin ? Ils se racontaient leur vie, leur quotidien. Parfois, leurs blessures.

De : Félix
A 18h47.
Je crois qu'au fond de moi, j'ai jamais accepté d'avoir été adopté. Je crois que je l'ai toujours su avant même que mes parents ne me le disent quand j'avais douze ans. Je suis typé, ça se voit à mon visage alors qu'ils sont tout ce qu'il  y a de plus européens. Je m'en fiche de la ressemblance physique parce que je sais qu'il m'aime au-delà de ça mais ce qui me blesse, c'est que je n'ai pas su être l'enfant que mes parents biologiques voulaient pour qu'ils m'abandonnent.

« Des blablas, des silences, on se partage nos balafres
et là voilà c'est l'évidence. »

Huit mois. Huit mois d'une évidence qui crevait les yeux. Félix était amoureux d'Elias. Elias, il n'en savait pas trop. Il l'écoutait mais il parlait peu. Il disait juste qu'il le voulait à ses côtés. Un matin, Félix est allé au travail. Il avait déposé une lettre de démission ainsi qu'un préavis pour l'appartement qu'il louait depuis la fin de ses études. Dans trois semaines, il serait à l'autre bout du pays. Dans vingt et un jour, il rencontrerait Elias. Félix était fatigué de courir après son bonheur alors qu'il savait pertinemment où il se trouvait. Là-bas.

« Avec l'amour, t'as pris la poudre d'escampette, t'as désiré le coup de foudre,
t'as dis bonjour à la tempête. »

Félix avait cherché son adresse dans le bottin. Il ne lui avait rien dit de ce changement dingue de vie. Il était devant son appartement, le cœur battant, les mains moites. Il remonta ses lunettes sur son nez et après une grande inspiration, se décida à frapper à sa porte. « J'arrive ! », gueula une voix derrière la porte qu'il identifia aussitôt comme celle d'Elias. Son cœur ne cessait de le martyriser, rythme dingue, angoisse partout. La porte s'ouvrit, laissant apparaître ce brun dont il rêvait depuis neuf mois. Il portait un caleçon noir et un débardeur de la même couleur, mettant parfaitement en valeur sa peau halée et son corps musclé. Elias s'arrêta, les yeux grands ouverts sur Félix. Ils se regardèrent pendant un long moment avant que l'étudiant ne se décide et se rue sur les lèvres du nouvel arrivant. Elias vint encadrer le visage de Félix de ses paumes. « Tu es dingue », s'esclaffa-t-il, hystérique, n'en croyant pas ses yeux.

Ils prenaient leur temps. Ils profitaient l'un de l'autre sans trop s'engager. Elias y mettait des limites. Ils n'avaient jamais franchis le cap de faire l'amour, se contentant de quelques caresses perdues et égarées. Ils prenaient le temps de se découvrir, de s'apprendre. Ils passaient le plus clair de leur temps l'un chez l'autre. Leur amour était une évidence mais seulement aux yeux de Félix. Parce qu'Elias n'était pas ce sage étudiant que Félix croyait. Il n'était rien de ce qu'il pensait. Il était dangereux et sanguinaire.

La triste histoire de l'agneau qui s'éprend du loup.